A l’occasion de la cérémonie officielle de la 10ème édition de Delémont’BD, nous avons eu le privilège d’accueillir Madame Elisabeth Baume-Schneider, conseillère fédérale. Cette cérémonie étant réservée aux invité.e.s de Delémont’BD, nous vous proposons de retrouver ci-dessous le discours prononcé à cette occasion. Nous remercions sincèrement Madame Elisabeth Baume-Schneider (ancienne membre de la Fondation Delémont’BD), pour le temps consacré à Delémont’BD.
Chers ami-es de Gargamel, de Donald Duck et de Spiderman,
Vive la journée nationale de la Grève des femmes !
Cette journée tombe vraiment très bien, parce que – vous ne le répéterez à personne – je déteste la bédé. Je crois qu’un psychanalyste verrait rapidement dans mes lectures d’enfance les fondements de cette aversion intempestive.
La seule véritable héroïne des albums de Tintin remue ciel et terre parce qu’elle a oublié ses bijoux sous un coussin. Dans les Schtroumpfs, la qualité de l’unique personnage féminin est d’être blonde, merci ! Et ce n’est pas beaucoup mieux du côté d’Astérix, où, mis à part Falbala et Cléopâtre, toutes sont présentées comme de vieilles mégères qui se lancent des poissons.
Chers ami-es,
A cause de cette image poussiéreuse, c’est vrai, j’ai longtemps détesté la bédé. Mais, voyant que des auteurs et autrices de la région s’y sont mis et avec pas mal de réussite, j’ai décidé de changer de point de vue. Je fais donc un tour à la bibliothèque, me fais conseiller des incontournables. Le premier que j’ouvre, je le souligne, dans de très bonnes dispositions loin de tout jugement hâtif, c’est… Pascal Brutal, de Riad Sattouf ! Petit extrait de l’album Le Mâle dominant : « La virilité a un nouveau visage et vit dans notre futur : Pascal Brutal dans Un homme et 49 femmes » - fin de citation. La semaine suivante, je vais incognito dans un salon du livre et je m’approche avec curiosité de quelqu’un qui dédicace un livre à un stand d’une célèbre librairie. Extrait de la conversation : « Bonjour, ça a l’air chouette ? Ça raconte quoi ? » « Ah, moi, je n’en sais rien, ça ne m’intéresse pas vraiment, je fais juste les dessins », me répond l’illustrateur. Les a priori se renforcent. Et l’image que j’ai de l’auteur de bédé à ce moment-là, dont j’ose ici le portrait uniquement parce qu’il y a dans la salle quelques dessinateur-ices de presse, correspond à peu près à ceci : L’auteur de bédé est un vieux garçon qui fume seul dans son studio entouré de cartons de pizza et de berlingots de thé froid.
Il a tendance à éviter les foules, sauf parfois, lors de manifestation telle que celle-ci où il s’adonne à un concours de dessins qui se ponctue toujours par quelque représentation de sexe masculin quand ça ne tombe pas directement dans la scatologie. Autre auteur adoré Pitch Comment ne vient-il pas de taguer un immense Prout ! sur la porte de la Maison du Dessin de presse ? Fin de la caricature. J’espère que Pitch ne se vengera pas trop.
J’ai détesté la bédé, mais je me suis accrochée à la ferme intuition que je devais aimer et que j’aimerais la bande dessinée. Je ferais la nique aux idées reçues. J’efface donc cette représentation tronquée de mon disque dur et je plonge aussitôt dans des univers labyrinthiques, aussi fascinants et obscurs que les cités de François Schuiten. Je rencontre l’incroyable diversité des genres, le décloisonnement des frontières que j’aime tant dans les arts et que j’appelle de mes vœux dans la société entière. Je lis des romans graphiques, des autofictions, des bédés reportages, y compris réalisés par des auteur-ices suisses, Chappatte en tête, ou encore à cent vingt mètres par Janel Fluri et ses scènes de vie dans le désert du Sinaï dont on a terriblement besoin qu’on montre la beauté.
Je découvre des bandes dessinées engagées, avec des histoires de et par des femmes. Je dévore Culottées de Pénélope Bagieu, les biographies d’Olympe de Gouges et de Joséphine Baker par Catel. Et je me plonge dans les extraordinaires tourments graphiques de Léonie Bischoff sur Anaïs Nin, récemment primée ici même. Et peu à peu, tel Hannes Binder qui fait surgir des univers lumineux en grattant méticuleusement des cartes – et qui a d’ailleurs exposé lors de la deuxième édition de Delémont’BD – je constate enfin, victoire, sous des couches d’a priori dures comme les têtes dures des Breulotiers, que j’adore la bande dessinée. Et c’est justement cela l’immense qualité de ce festival : il montre la vastitude, imprime les nuances avec la plus haute exigence sans, je crois, toujours se prendre au sérieux. Il casse les idées reçues et dépoussière.
Briser les clichés et présenter la complexité et la diversité des choses et des gens, c’est ce que j’attends de la culture. C’est ce que soutient la Fondation Pro Helvetia, présente aux côtés de notre cher festival depuis ses débuts. Et la bande dessinée a d’immenses atouts pour faire ce travail auprès de chacun et chacune. Il y a des dessins, on n’a pas forcément besoin de lire le texte – ça va plaire aux scénaristes, ça ! – on peut revenir en arrière, contempler à son rythme, et c’est accessible de 7 à 77 ans depuis longtemps. La bande dessinée est un art accessible, populaire et qui jouit d’une liberté inouïe.
Chers amis de la bédé,
J’adore la bande dessinée. Et comme c’est la Grève des femmes, permettez de rendre un petit hommage non-exhaustif aux autrices présentes, de la région, de Suisse entière et d’ailleurs. Pardon à l’avance à toutes celles que je ne citerai pas. Merci Léandre Ackermann de raconter cette histoire de lanceurs d’alerte, et bonne chance pour le Prix Delémont’BD. Bravo la Bûche de nous présenter une telle diversité de plumes d’autrices à travers les fanzines, à Maeva Ruebli pour ses récentes distinctions, à Amélie Dupré, aux Taignones Anda et Célestine Braillard. Je me réjouis d’ajouter d’autres univers, parfois les vôtres que je ne connais pas encore, aux dédales de ce neuvième monde.
Cher-ères ami-es de Gargamelle et de Spiderman,
Penchons-nous sur la carte à gratter et ouvrons les lumières aux yeux de toutes celles et ceux qui ne connaissent pas encore. Racontons des histoires qui nous emmènent ailleurs. Vengeons la Castafiore et la Schtroumpfette !
Vive la Grève de Femmes, vive Delémont’BD !